Livres

Ombres blanches sur fond presque blanc

Héros-Limite
2020
28 pages
125 x 190 mm
isbn 978-2-88955-042-5

Les sons lorsqu’ils s’étirent, peu à peu se modifient jusqu’à ce qu’ils ne se reconnaissent. Une dilatation extrême mène à la disparition.


Les rythmes deviennent indistincts, un vrombissement continu, une forme rendue vague par son éloignement. Des contours peuvent encore être discernés, presque rien, ce ne sont que des images qui naissent pour compenser le manque. Une résolution lacuneuse ici qu’on entrevoit cristalline au loin, plus près de la source.


Des nuances agiles dans le silence et d’autres sons plus incertains que les éclats d’une musique, perceptibles à une distance d’où tout peut tenir en petit. Ne reste des basses que la vibration des vitres, comme des scintillements parcourant le corps des usines.

Les récits que Baptistes Gaillard développe de livre en livre décrivent des scènes sans personnages, dans lesquelles seuls des processus anonymes adviennent : germination, pourrissement, mouvement des fluides, expansions, délitements. La blancheur du titre de ce nouveau texte fait songer à l’aveuglement qui précède l’évanouissement. Les phénomènes étudiés dans ce long poème sont situés à la limite du discernable. Quasi inaudibles, à peine visibles, furtifs, évanescents, ils se succèdent en s’annulant. Rien ne semble en résulter qu’un devenir incertain, dont la finalité reste indéchiffrable.


Ainsi Ombres blanches sur fond presque blanc ajoute-t-il un chapitre d’allure fantomatique à la description d’un monde insaisissable car livré à une incessante métamorphose. Le tour de force auquel se livre Baptiste Gaillard tient à sa capacité à faire exister ce monde tout en évitant soigneusement de le définir. Parvenant à suivre dans leurs plus subtiles nuances des phénomènes imperceptibles, l’auteur déploie, avec ce nouveau texte, toute la virtuosité dont est capable son écriture poétique.

(Hervé Laurent)


Un domaine des corpuscules

Hippocampe édition
2017
14 x 21 cm (broché)
96 pages
isbn 979-10-96911-02-8

Prix suisse de littérature 2018

Profond d’ombre où tout est dans le même jus, ce qui est dans l’eau devient marin. Le solide se désagrège peu à peu et déserte la couronne extérieure des choses. La planche de bois immergée perd d’elle-même en dissolutions. Dans le bain, les particules des dégradés s’agglomèrent aux derniers venus, encore intègres, et l’assimilation est lente. L’aspect général n’est pas encore uni ; ça ne devient le cas que lorsqu’un temps suffisant est passé et que ni ce qui vient de s’ajouter ni le fond de restes, depuis longtemps décomposé au dernier stade, réduit matériel minimum, ne sont plus distincts. Quand les choses se fondent dans ce qui désormais les entoure, une sorte de caractère commun est assigné au lieu, parce que tout ce qui est passé par cette modification en est au même point, et que tous les nouveaux apports se répartissent, aveuglément. Il n’y a plus de rythmes, plus de nuances, plus d’altérité, tout se déforme dans le gris.

Comme la chrysalide pour les chenilles, le texte est une vaste usine des mutations. Il se déploie par capillarité et grandit par le milieu. Sa matière en évolution est régulièrement découpée, déplacée, réorganisée. Certains blocs se divisent pour former de nouveaux fragments, alors que d’autres entre eux s’agrègent. Du singulier ponctue l’itération des motifs, comme du solide restant dans un bain de macération : la délimitation est incertaine entre ce qui en est déjà, et ce qui résiste encore.
Quoique tenant plus du protéiforme que du déroulement ordonné d’un programme, Un domaine des corpuscules fait diffusément écho à la géométrie sale, notion centrale et titre d’un numéro de la revue Tissu. Hésitant entre enlisement et épiphanies, l’écriture se conçoit ici comme pensée de la poussière ou de la boue, et comme distillation dans sa grammaire de ce qu’elle charrie.


Bonsaï

Hippocampe édition
2018
14 x 21 cm (broché)
120 pages
ISBN  979-10-96911-13-4

Le bonsaï étant une forme contrainte donnée à une espèce naturelle, afin d’en obtenir une image miniature, de la négligence à son égard mènera à une reprise de vigueur sous forme de débordements. Son extinction en tant que bonsaï commence par la surabondance ; de nouvelles impulsions non jugulées rendent au spécimen son naturel. Échappant aux contraintes qui faisaient de lui une image, par croissances et par bourgeonnements en tous sens, le petit arbre cesse. Tout un désordre en pleine taille, fait de torsions, d’écarts, de reprises.

L’écriture peut se concevoir comme un ensemble en expansion, grandissant en son centre par associations, fonctionnant selon une logique de déploiement, de variations et de déclinaisons, à la manière d’une tapisserie. Bonsaï trouve au contraire son origine dans le traitement de scories et de bribes, écartées de précédents textes au moment où s’en est dessinée l’unité. À partir de tels éléments, l’écriture s’amorce de manière plus succincte et modeste. Elle s’attache à l’abstention, à l’interruption, à la ligature, tout en gardant quelque chose de l’ordre du suintement.

Un guide de vulgarisation sur les bonsaïs, avec ses illustrations de petits arbres évoquant de courts textes, introduit l’idée d’une proximité entre cette pratique ornementale et l’écriture en général, mais le bonsaï est surtout devenu ici une forme poétique inventée pour soutenir ce travail des restes en arabesques. Dans un même livre, il y a alors le texte lui-même, le corps du texte, et il y a une bande passante où se trouvent des emprunts à un autre texte, auxquels vont pouvoir s’adosser les premiers, comme à des titres, des tuteurs. Ces deux textes cohabitent cependant d’une manière circonstancielle. Bonsaï met en œuvre une certaine aptitude à la non-coïncidence, à l’inajustement.


Le chemin de Lennie

Coédition Héros-Limite et HEAD – Genève
2013
140 x 215 mm
44 pages
isbn 978-2-940358-95-3

Diurnes et nocturnes dérivent dans le désordre sans chemin.


Tout l’espace est une place où s’écoulent les organiques, les êtres étranges des ombres, en vastes mouvements contradictoires de flux et reflux qui se mélangent et se recouvrent, en mouvements auxquels la terre est indifférente et auxquels les minéraux ne répondent pas.


A chaque parcelle le même carrefour propice à la dispersion.

Le Chemin de Lennie de Baptiste Gaillard se présente comme un long poème en prose déroulant une suite, quasi litanique dans sa forme répétitive, de phénomènes naturels dont jamais le cadre spatial ni l’ancrage temporel ne sont précisés. Une forme de vertige accompagne la lecture de cette chronique discontinue qui prend des allures d’Histoire de l’éternité naturelle, pour paraphraser le beau titre d’un livre de Borges. La dynamique du vivant ne fait ici l’objet d’aucune théorie évolutionniste, ni d’aucun jugement de valeur; elle est plutôt racontée sur le mode de la hantise: la prédation, la mort, le pourrissement, la prolifération aveugle, rythment la cadence des métamorphoses par lesquelles le vivant obéit à son inexorable objectif d’expansion.

L’écriture de Baptiste Gaillard épouse la forme cyclique des phénomènes qu’elle décrit. La répétition, la reprise, amènent à chaque fois une précision supplémentaire, s’attardent sur un aspect ignoré par les narrations antérieures, déplient une dimension négligée d’un processus de développement. (…) Y a-t-il une idée de la boue? demande Platon dans un dialogue où il laisse deviner la fragilité de la position idéaliste. On pourrait ajouter Et si oui, quel langage peut la dire? Le livre de Baptiste Gaillard apporte de précieux éléments de réponse à cette dernière question qui est aussi, est-il besoin de le rappeler, un défi auquel ne peut se dérober l’écriture poétique.

(Hervé Laurent)

  • Samuel Rochery sur Le Chemin de Lennie

r a z

Éditions Contre-mur
2017
livre numérique
ISBN 978 – 2‑9547306 – 6‑0

(couverture de Caroline Scherb)

Un écran diffuse les images de dissection d’un mort-noyé. Lorsque le médecin veut trancher l’épaisse peau bleutée avec son scalpel, il doit plusieurs fois reprendre son geste comme s’il taillait dans une baudruche, avant qu’une mousse blanche d’un coup décompactée ne s’en libère. L’autopsie révèle des concrétions dans la trachée. Il s’y trouve notamment un animal, par exemple un papillon.

Suivre au plus près les mutations d’un décor-monde à dominante organique, porter attention aux nuances de changements d’états et de formes des matériaux, des matières… voilà où — de flashs d’images en flashs d’images — ce texte nous entraine dans une expérience de visualisation et de perception du monde qui nous entoure — l’infiniment petit y compris.


Building Books
2022
16,9×23,7 cm
320 pages
ISBN 978-2-492680-10-6

Un livre de Simon Boudvin, imaginé avec Stéphane Dupont, pour lequel Baptiste Gaillard a écrit deux textes:

  • Figures de la vie sans eau
  • Corps de vapeur du prolétariat.

Voici des figures de la vie sans eau, dans le temps infrabas minéral.


Un morceau de feuille devenue lumière de sa forme. Juste un contour, une empreinte, un filigrane. En fait, elle n’est pas devenue compacte comme sa pierre. Elle s’est vaporisée et n’est présente que diluée, l’image d’une feuille dans sa réduction aux sels.


La coquille d’un crustacé, un glyphe dans la roche, une présence éloignée comme derrière une vitre. C’était un corps complexe, un relief, une masse. Ce n’est plus qu’une teinte, une ligne dessinant son évanouissement. Toute la présence est aplatie, il n’y a pas de profondeur.

Il y a quarante millions d’années, s’étendait ici le bras d’une mer chaude, peuplée de mollusques et de plantes aquatiques, brassés par des courants qui les distribuaient selon leur force sur les fonds irréguliers, compactés par les âges en une masse crayeuse. Depuis deux mille ans, les carriers et terrassières extraient cette roche calcaire, une pierre à bâtir, à bâtir des corps de ferme, des maisons, des églises et Paris. Un travail de forçats livrant à la ville sa matière bloc par bloc, laissant dans le paysage des cavités immenses où beaucoup y ont laissé leur peau. D’autres rentrent le soir les poches pleines de fossiles, témoins d’une vie antédiluvienne. On dit d’une pierre qui présente des empreintes de vies fossilisées qu’elle est éveillée. Ce livre opère une coupe iconographique dans les carrières de l’Oise. Il compile des vues anciennes et actuelles qui donnent à voir comment la vie préhistorique a laissé des traces dans la roche et comment son extraction a marqué des vies.