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Il a publié les livres Ombres blanches sur fond presque blanc (Héros-Limite 2020), Un domaine des corpuscules (Hippocampe 2017), Bonsaï (Hippocampe 2018), r a z (Contre-Mur 2017), Le chemin de Lennie (Héros-Limite 2014). Il écrit parfois pour des artistes, comme par exemple avec les textes Figures de la vie sans eau et Corps de vapeur du prolétariat commandés par Simon Boudvin pour son livre Oise (Building Books 2022).
Il a reçu un prix suisse de littérature en 2018 et a obtenu des bourses de création en écriture de Pro Helvetia (2020), du Centre national du livre (2020) et du Canton de Genève (2013).
Baptiste Gaillard
Av. Edouard Dapples 3
CH-1006 Lausanne
info[at]baptistegaillard.com
Hippocampe édition (éditeur, facebook)
Contre-mur (éditeur)
Héros-Limite (éditeur)
Les presses du réel (distributeur)
Texte paru dans la revue de belles-lettres 2020, 1-2.
EAN13 : 9782940419234.
Les céphéides
Les céphéides sont de petites variations que l’on peut contempler en silence pour autant qu’on les remarque, de légers scintillements dans le ciel ici ou des gonflements gigantesques au loin. Elles apparaissent comme des objets dont on peut en regard se saisir et comme des respirations qui ne se laissent pas circonscrire. Elles se soustraient quand bien même elles se donnent.
*
Un texte est de même à la fois objet défini et mouvement échappant aux consciences désireuses de s’en saisir. Tous ses fragments bougent, formant un ensemble de pulsations contraires dans un ciel où chaque unité gonfle et puis s’éteint. Le cumul des scintillements change sans cesse, l’intensité moyenne est instable, mais le dessin commun est sensible comme une forme sous-jacente.
*
Un texte ce n’est pas une peinture ni une résine dont on verrait la forme changer en durcissant. Il ne fait pas de bulles ni ne réagit bien ou mal aux mélanges. C’est une matière sans accidents, sa respiration est différente. Une langue sèche pour rendre compte du monde, mais peu à peu elle se déforme bien qu’elle essaie de rester instrument : elle se charge d’une part de ce qu’elle décrit, s’en imprègne, commence à le mimer. Elle aussi, en ce sens, elle bouge.
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Le mouvement de ces astres quand ils se gonflent et qu’ils se vident évoque une musique pauvre, des singularités discrètes. Des moments fragiles de pensée s’amorcent dans l’inframince, dans cet écart qui n’en est presque pas un, où se joue quelque chose, lorsque se saisir c’est aussi sentir échapper. L’intensité n’est pas seulement ce qui vient, mais c’est encore ce qui s’en va.
*
Des formes parfois se devinent à peine parce qu’elles viennent dans un fond qui leur ressemble et s’effacent aussitôt. Un peu comme l’eau tiède qu’on ne sent presque pas, ou quand on la sent ce n’est pas possible de savoir si c’est elle que l’on sent ou si c’est notre propre température. Ce qu’on appelle tiède, ce n’est presque rien.
*
L’existence des formes est fragile, elles exigent la plus grande précision, mais aussi une part spéculative, sans quoi elles s’évanouissent pour de bon. Dans un chantier, les travaux amorcés en plusieurs points ne se rejoignent pas toujours mais permettent une percée par échos.
*
Ce ne sont peut-être pas des objets qu’il s’agit de saisir, mais des lumières qui s’intensifient ou qui diminuent. Dans un cas, la pensée coule dans une absence comme dans un creux, prenant la place de ce qui s’éteint. Dans l’autre elle ruisselle et s’échappe, chassée par la montée en puissance de ce qui vient. Ce que cherche l’écriture est un peu des deux à la fois, dans ce mouvement, céphéide.
Texte composé pour le livre Oise de Simon Boudvin.
Oise est un ouvrage imaginé par Simon Boudvin et Stéphane Dupont, inspiré de MATERA, Immagini e documenti, Mario Cresci, edizioni Meta Matera, 1975.
Building Books
Coédité avec / coedited with La Maréchalerie, centre d’art contemporain de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles
2022
Format 16,9×23,7 cm
320 pages
288 images monochromes / monochrome images
Langue / language FR
Conception graphique / graphic design Stéphane Dupont
Typographie / typeface Immortel Infra (Clément Le Tulle-Neyret, 205 TF)
Imprimé par / printed by Graphius à / in Gand (BE)
ISBN 978-2-492680-10-6
Présentation de Oise (extrait du site de Building Books)
Il y a quarante millions d’années, s’étendait ici le bras d’une mer chaude, peuplée de mollusques et de plantes aquatiques, brassés par des courants qui les distribuaient selon leur force sur les fonds irréguliers, compactés par les âges en une masse crayeuse. Depuis deux mille ans, les carriers et terrassières extraient cette roche calcaire, une pierre à bâtir, à bâtir des corps de ferme, des maisons, des églises et Paris. Un travail de forçats livrant à la ville sa matière bloc par bloc, laissant dans le paysage des cavités immenses où beaucoup y ont laissé leur peau. D’autres rentrent le soir les poches pleines de fossiles, témoins d’une vie antédiluvienne. On dit d’une pierre qui présente des empreintes de vies fossilisées qu’elle est éveillée. Ce livre opère une coupe iconographique dans les carrières de l’Oise. Il compile des vues anciennes et actuelles qui donnent à voir comment la vie préhistorique a laissé des traces dans la roche et comment son extraction a marqué des vies.
Extrait de Corps de vapeur du prolétariat
Un corps de vapeur flotte dans les dédales de son activité sous forme de traces minuscules et de fonctions incertaines. C’est un manque et c’est un cumul, une présence de ce qui a disparu dans ce qui se maintient. Une foule, sa raréfaction, puis seulement des objets dans un domaine isolé d’opérations lentes et sans fin.
Des formes résiduelles de l’exploitation jonchent les taillis: pièces de rouille éparses, un morceau de corde, un lambeau de tissu, une bouteille à demi enfouie, des cheveux transparents dans la poussière, des mégots dans la terre ou dans leurs cendres. Ce sont des restes incertains, des objets sans contexte qui ne se lient aux activités que par évocation. Tous les abandons se ressemblent. D’autres existences, il ne reste rien: les voix par exemple ou les odeurs ne peuvent être reconstituées.
Dans le paysage des absences, les présences sont hantées.
Un cordon invisible dessine la frontière mouvante d’un espace de chantier, d’un marais ou d’une prairie creusée de gisements, d’une flaque aux têtards, d’une ancienne gravière avec pelleteuse à l’arrêt. L’entrée dans la zone est insensible. De temps en temps un caillou dévale de la pente. Parfois, durant la nuit, le grondement au loin d’un pan de terre qui s’affaisse évoque un accident de corniche, un éboulement de galeries.
Toute étendue comme instant provisoire d’une organisation: un parking ou un dépôt et de l’herbe qui pousse, envahit, enlise les machines, forme un nouveau revêtement.
La surface normale est une surface digérée.
Il y a prélèvement de pierres, exploitation de ressources, collection de curiosités: des morceaux d’ici se retrouvent là par incision et par déplacement. Parmi les empreintes, celles par la consigne du papier, avec des rapports, des classeurs, des schémas, un inventaire des mouvements du terrain et des hommes. Dans des étagères sous air conditionné, une matière de signes et de mots documente ailleurs une disparition.
À la cartographie des terres et aux protocoles d’exploitation répondent des organisations humaines, d’éphémères dispositions pour la résistance des corps aux emprises.
Le matin commence avant la lumière.
Un accident est signalé: une enfant indéterminée est tombée, un homme indéterminé est enseveli, une femme indéterminée est inconsciente, un groupe indéterminé est porté disparu.
(…)
Texte composé pour le livre Oise de Simon Boudvin.
Oise est un ouvrage imaginé par Simon Boudvin et Stéphane Dupont, inspiré de MATERA, Immagini e documenti, Mario Cresci, edizioni Meta Matera, 1975.
Building Books
Coédité avec / coedited with La Maréchalerie, centre d’art contemporain de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles
2022
Format 16,9×23,7 cm
320 pages
288 images monochromes / monochrome images
Langue / language FR
Conception graphique / graphic design Stéphane Dupont
Typographie / typeface Immortel Infra (Clément Le Tulle-Neyret, 205 TF)
Imprimé par / printed by Graphius à / in Gand (BE)
ISBN 978-2-492680-10-6
Présentation de Oise (extrait du site de Building Books)
Il y a quarante millions d’années, s’étendait ici le bras d’une mer chaude, peuplée de mollusques et de plantes aquatiques, brassés par des courants qui les distribuaient selon leur force sur les fonds irréguliers, compactés par les âges en une masse crayeuse. Depuis deux mille ans, les carriers et terrassières extraient cette roche calcaire, une pierre à bâtir, à bâtir des corps de ferme, des maisons, des églises et Paris. Un travail de forçats livrant à la ville sa matière bloc par bloc, laissant dans le paysage des cavités immenses où beaucoup y ont laissé leur peau. D’autres rentrent le soir les poches pleines de fossiles, témoins d’une vie antédiluvienne. On dit d’une pierre qui présente des empreintes de vies fossilisées qu’elle est éveillée. Ce livre opère une coupe iconographique dans les carrières de l’Oise. Il compile des vues anciennes et actuelles qui donnent à voir comment la vie préhistorique a laissé des traces dans la roche et comment son extraction a marqué des vies.
Extrait de Figures de la vie sans eau
Voici des figures de la vie sans eau, dans le temps infrabas minéral.
Un morceau de feuille devenue lumière de sa forme. Juste un contour, une empreinte, un filigrane. En fait, elle n’est pas devenue compacte comme sa pierre. Elle s’est vaporisée et n’est présente que diluée, l’image d’une feuille dans sa réduction aux sels.
La coquille d’un crustacé, un glyphe dans la roche, une présence éloignée comme derrière une vitre. C’était un corps complexe, un relief, une masse. Ce n’est plus qu’une teinte, une ligne dessinant son évanouissement. Toute la présence est aplatie, il n’y a pas de profondeur.
Une branche calcifiée en même temps que volatilisée ou réduite en granules. Les motifs et les détails parfois se confondent avec les irrégularités de la roche : ce n’est qu’une seule pierre.
La roche est éteinte, une masse refermée.
Rien ne peut être isolé, retiré. Le monde est continu où tout est (au) présent. Dans un chantier de fouilles, aucune mise à jour n’est possible.
Il y a comme une ombre dans la pierre, une présence fragile aux contours vaporeux. Une musique des mondes disparus : des algues, des crabes, des œufs, des dents. Ces mondes résonnent en ensembles calcaires qui parfois se respirent.
L’infinité particule.
De la densité des noyaux jusqu’aux dimensions réduites propices aux agrégats du vent, toute la roche est sensible dans de simples débris déposés au hasard. C’est une appartenance mémoire qui partout se retrouve.
La séparation n’existe pas, la limite des ensembles est incertaine : où ils se rencontrent, ils se mélangent. Parfois un ensemble est si distendu qu’il comprend en son sein les aires de sa propre raréfaction.
(…)
LA MAISON MONDE est un jeu de médiation culturelle mettant en valeur des objets littéraires singuliers dans le cadre de relations individuelles et au moyen d’un outil inspiré du jeu de tarot, compris comme machine à faire parler.
LA MAISON MONDE suppose une adéquation particulière entre des textes dont la diffusion se fait à bas bruit et une manière de concevoir le public au singulier.
Toutes les cartes de tarot (arcanes majeurs) ont été redessinées par l’auteur pour LA MAISON MONDE.
Bibliographie
(I – Le Bateleur) Antin David, Accorder, Héros-Limite, 2012 (traduction Pascal Poyet)
(II – La Papesse) Baqué Joël, Ruche, Éric Pesty, 2019
(III – L’Impératrice) Bennett Guy, Œuvres presque accomplies, L’Attente, 2018 (traduction Frédéric Forte et l’auteur)
(IV – L’Empereur) Berssenbrugge Mei-Mei, Le Taj bleu, Les cahiers de Royaumont, 1991 (traduction Pierre Alferi)
(V – Le Pape) Chopard Cléa, Ancolie commune, Héros-Limite/L’Ours Blanc, 2017
(VI – L’Amoureux) Doppelt Suzanne, Le pré est vénéneux, P.O.L, 2007
(VII – Le Chariot) Eigner Larry, De l’air porteur, José Corti, 2014 (traduction Martin Richet)
(VIII – La Justice) Etel Adnan, Nuit, L’Attente, 2017 (traduction Françoise Despalles)
(IX – L’Ermite) Gahse Zsuzsanna, Cubes danubiens, Hippocampe, 2019 (traduction Marion Graf)
(X – La Roue de la Fortune) Hocquard Emmanuel, Le cours de Pise, P.O.L, 2018
(XI – La Force) Jouy Anna, De feuilles qu’une fois, Alcyone, 2021
(XII – Le Pendu) Lassalle Jean-René, Rêve : Mèng, Grèges, 2016
(XIII – La Mort) Moussempès Sandra, Colloque des télépathes, L’Attente, 2017
(XIV – La Tempérance) Nelson Maggie, Bluets, Le sous-sol, 2019 (traduction Céline Leroy)
(XV – Le Diable) Omran Rasha, Celle qui habitait la maison avant moi, Héros-Limite/L’Ours Blanc, 2021 (traduction Henri Jules Julien et Mireille Mikhaïl)
(XVI – La Maison Dieu) Pantano Daniele, Chiens dans des champs en friche, Éditions d’en bas, 2020 (traduction Eva Antonnikov)
(XVII – L’Étoile) Reznikoff Charles, Inscriptions, Nous, 2018 (traduction Thierry Gillybœuf)
(XVIII – La Lune) Ruffieux Marie-Luce, La nageoire de l’histoire, Contrat maint, 2016
(XIX – Le Soleil) Sbrissa Isabelle, Tout tient tout, Héros-Limite, 2021
(XX – Le Jugement) Sekiguchi Ryoko, Présentation de dix quartiers de Shinguku à usage purement personnel et nostalgique, Ink, 2011
(XXI – Le Monde) Swensen Cole, Nef, Les petits matins, 2005 (traduction Rémi Bouthonnier)
(Le Fou) Tardy Nicolas, Gravitations autour d’un double soleil, Série discrète, 2018
Vous pouvez me contacter (onglet à propos) pour m’inviter à activer La Maison monde, ou pour tous renseignements.
Héros-Limite (diffusion en librairie)
Revue L’Ours blanc (diffusion par abonnement)
2020
28 pages
125 x 190 mm
isbn 978-2-88955-042-5
Présentation
Les récits que Baptiste Gaillard développe de livres en livres décrivent des scènes sans personnages, dans lesquelles seuls des processus anonymes adviennent : germination, pourrissement, mouvement des fluides, expansions, rétractations. On est dans le monde sublunaire d’où est bannie toute idée de permanence. Les livres de Baptiste Gaillard tiennent la chronique de ces événements naturels, ils en traquent la monotonie.
Ici, la « blancheur » du titre fait songer à l’aveuglement qui précède l’évanouissement. Les phénomènes étudiés dans ce long poème sont situés à la limite du discernable. Quasi inaudibles, à peine visibles, furtifs, évanescents, ils se succèdent en s’annulant. Une fois de plus, rien ne semble devoir en résulter que leur enchaînement ad libitum. D’où l’ambiance fantomatique qui se dégage d’Ombres blanches sur fond presque blanc.
Autour du texte
« 3 questions à… » sur Ombres blanches sur fond presque blanc
Extrait
Les sons lorsqu’ils s’étirent, peu à peu se modifient jusqu’à ce qu’ils ne se reconnaissent. Une dilatation extrême mène à la disparition.
Les rythmes deviennent indistincts, un vrombissement continu, une forme rendue vague par son éloignement. Des contours peuvent encore être discernés, presque rien, ce ne sont que des images qui naissent pour compenser le manque. Une résolution lacuneuse ici qu’on entrevoit cristalline au loin, plus près de la source.
Des nuances agiles dans le silence et d’autres sons plus incertains que les éclats d’une musique, perceptibles à une distance d’où tout peut tenir en petit. Ne reste des basses que la vibration des vitres, comme des scintillements parcourant le corps des usines.
L’espace de la nuit résonne de reliquats.
Une apparition commence dans un miroitement, dans le passage à l’absence.
Dissimulée dans ses propres vapeurs, retirée dans son produit, une ville se cartographie aux manifestations gazeuses, par dénombrement du blanc, des émanations dans la brume, sans dimension solide.
Une activité des nuances qui se multiplient : des formes tantôt deviennent réelles, accédant aux couleurs, tantôt disparaissent, sans réalité tangible. Des sensations qui naissent dans une discrimination de plus en plus émoussée dans le gris.
Toute l’humidité se fond en une seule.
Une ombre comme une fumée, presque rien ne se passe, dont la source est pourtant réelle.
À mesure que l’unité se dégrade et vire au gris, s’y forme une sensation de couleur, une perception éthérée de ce qui cherche à revenir. Une surface délavée où des teintes apparaissent sans jamais se fixer, imprécises, qui passent sans s’affirmer.
Les images se déclinent et se fondent, se résorbent dans un fond. Le corps d’un insecte repose tel qu’en lui-même, un exosquelette s’effritant dans la poussière.
À partir d’un peu de substance, même éphémère, quelque chose commence. Une couche se crée, visqueuse, elle-même bientôt substrat d’une autre. Le solide n’est pas nécessaire. Algues et mousses tantôt se produisent et tantôt s’alimentent.
Certains aspects de l’un entrent en écho de l’autre. Toute résistance imbibée dans son fond s’amollit, se désagrège à mesure en fractions qui essaiment en retour, imprégnant ce qui s’y trouve, faisant le désaccord plus général. L’espace entre les objets lui-même se densifie.
L’air s’épaissit de minuscules entraves, le vol de poussières et de moucherons confondus. Ce qui s’avance aussi s’enfonce.
Un espace de vacance permet la décantation, le jeu libre où les particules se détachent et se déposent. La dispersion mène à l’écart en d’infinis détours, en une lenteur propre aux émiettements. Les limites s’en effacent.
L’étendue d’un poudroiement reste incertaine. Au passage d’un état à l’autre, d’une configuration à l’autre, la manière de mesurer l’objet se modifie.
Des fragments ne se distinguent pas du sol où ils reposent. Une seule couleur, gris dans le noir, pour toutes les découpes, les débris ayant une forme à chaque fois unique.
L’ombre des poussières dans le cache du néon qui les éclaire. La composition du dépôt reste indéfinie : du carbone, des mouches, de la pierre, des cheveux. Tout passe à proximité, transitoire, alors qu’ici reposent isolés en débris.
La forme d’un orage électromagnétique, désordre global où sont plongés les signaux, si ce n’est le brouillage, comment ils en ressortent et s’identifient.
Un léger relâchement dans l’alignement des lentilles entraîne une perte de détails. Le contour de l’image projetée se dilate, la lumière bave en taches, comme si les rayons se détournaient des obstacles et qu’aucune ombre ne pouvait se former. Un léger resserrement permet un dessin, l’approximation d’un dessin, le sentiment d’une donnée précise dans une présence un peu floue.
La basse définition, par-devers son défaut dit encore son défaut, la possibilité d’une forme dans l’éparpillement, le débord d’un monde en continu, lâche et dispersé.
choses pleines
grand souffle
un bourdonnement
constant
Des temporalités (in) visibles et (in) audibles au travail.
L’opération de pyrolyse est imperceptible, les salissures ne s’estompant que peu à peu. Il arrive cependant que des particules s’illuminent lors de leur destruction au contact des résistances, que des corps entrent en combustion spontanée.
L’air amortit la poussière, partout du désert grandit.
Des couleurs filtrent de densités moindres, paraissent par moments et disparaissent ensuite comme des mirages, sans corps tenant derrière, des présences affleurant sous une mer d’huile sans pouvoir tout à fait remonter en surface.
Presque rien n’apparaît, une nacre, un éclat, une moirure dans une masse uniforme, une ombre sous du verre dépoli.
Des images dans la fumée, qui sont des images de la fumée.
Dans un brouillard, au point d’équilibre, se perd le mélange.
(…)
Exposition A new spirit in lasagnas, vol.3
NewJerseyy
Hüningerstrasse 18,
CH-4056 Basel,
du 1 mai au 30 mai 2009
– L’exposition sur le site de NewJerseyy
A New Spirit in Lasagnas est une exposition en trois volets (DARSE, Genève; CIRCUIT, Lausanne et NEW JERSEYY, Bâle) de très jeunes artistes venant de toute la Suisse, vivant et travaillant entre Genève et Lausanne. Certains sont autodidactes, d’autres sont encore à l’école ou fraîchement diplômés, pour la plupart du département de peinture/dessin de la HEAD à Genève, où j’enseigne sous l’égide de Peter Roesch et Caroline Bachman depuis quelques années.
Effet de génération: contrairement à leurs aînés immédiats, la plupart de ces artistes ne s’inscrivent pas dans une filiation liée à l’histoire de l’abstraction qui, depuis près de vingt ans – de Neuchâtel à Paris, de Genève à New York, via Lausanne – a régit la réception de l’art romand, tant en suisse qu’à l’étranger. Bien que je sois personnellement très attaché à ce fonctionnement familial («mais qui tient le magasin ?»), je me dit que finalement, ce modèle à peut-être vécu, peut-être tout simplement parce que nous avons affaire ici à une génération d’artistes suisses véritablement internationaux, aux origines péruvienne, syrienne, japonaise, américaine, espagnole, colombienne, etc.
Le titre de l’exposition est censé rappeler une célèbre exposition de peintures figuratives qui a eu lieu à la Royal Academy à Londres en 1981, et est le slogan d’une devanture de restaurant italien vu à Nagoya le 11 Septembre 2001. L’affiche de l’exposition a été réalisée par Kim Seob Boninsegni, un artiste et commissaire d’exposition qui fut le premier à exposer nombreux des artistes ici présents. (Fabrice Stroun)