Texte composé pour le livre Oise de Simon Boudvin.
Oise est un ouvrage imaginé par Simon Boudvin et Stéphane Dupont, inspiré de MATERA, Immagini e documenti, Mario Cresci, edizioni Meta Matera, 1975.

Building Books
Coédité avec / coedited with La Maréchalerie, centre d’art contemporain de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles
2022
Format 16,9×23,7 cm
320 pages
288 images monochromes / monochrome images
Langue / language FR
Conception graphique / graphic design Stéphane Dupont
Typographie / typeface Immortel Infra (Clément Le Tulle-Neyret, 205 TF)
Imprimé par / printed by Graphius à / in Gand (BE)
ISBN 978-2-492680-10-6
Présentation de Oise (extrait du site de Building Books)
Il y a quarante millions d’années, s’étendait ici le bras d’une mer chaude, peuplée de mollusques et de plantes aquatiques, brassés par des courants qui les distribuaient selon leur force sur les fonds irréguliers, compactés par les âges en une masse crayeuse. Depuis deux mille ans, les carriers et terrassières extraient cette roche calcaire, une pierre à bâtir, à bâtir des corps de ferme, des maisons, des églises et Paris. Un travail de forçats livrant à la ville sa matière bloc par bloc, laissant dans le paysage des cavités immenses où beaucoup y ont laissé leur peau. D’autres rentrent le soir les poches pleines de fossiles, témoins d’une vie antédiluvienne. On dit d’une pierre qui présente des empreintes de vies fossilisées qu’elle est éveillée. Ce livre opère une coupe iconographique dans les carrières de l’Oise. Il compile des vues anciennes et actuelles qui donnent à voir comment la vie préhistorique a laissé des traces dans la roche et comment son extraction a marqué des vies.
Extrait de Corps de vapeur du prolétariat
Un corps de vapeur flotte dans les dédales de son activité sous forme de traces minuscules et de fonctions incertaines. C’est un manque et c’est un cumul, une présence de ce qui a disparu dans ce qui se maintient. Une foule, sa raréfaction, puis seulement des objets dans un domaine isolé d’opérations lentes et sans fin.
Des formes résiduelles de l’exploitation jonchent les taillis: pièces de rouille éparses, un morceau de corde, un lambeau de tissu, une bouteille à demi enfouie, des cheveux transparents dans la poussière, des mégots dans la terre ou dans leurs cendres. Ce sont des restes incertains, des objets sans contexte qui ne se lient aux activités que par évocation. Tous les abandons se ressemblent. D’autres existences, il ne reste rien: les voix par exemple ou les odeurs ne peuvent être reconstituées.
Dans le paysage des absences, les présences sont hantées.
Un cordon invisible dessine la frontière mouvante d’un espace de chantier, d’un marais ou d’une prairie creusée de gisements, d’une flaque aux têtards, d’une ancienne gravière avec pelleteuse à l’arrêt. L’entrée dans la zone est insensible. De temps en temps un caillou dévale de la pente. Parfois, durant la nuit, le grondement au loin d’un pan de terre qui s’affaisse évoque un accident de corniche, un éboulement de galeries.
Toute étendue comme instant provisoire d’une organisation: un parking ou un dépôt et de l’herbe qui pousse, envahit, enlise les machines, forme un nouveau revêtement.
La surface normale est une surface digérée.
Il y a prélèvement de pierres, exploitation de ressources, collection de curiosités: des morceaux d’ici se retrouvent là par incision et par déplacement. Parmi les empreintes, celles par la consigne du papier, avec des rapports, des classeurs, des schémas, un inventaire des mouvements du terrain et des hommes. Dans des étagères sous air conditionné, une matière de signes et de mots documente ailleurs une disparition.
À la cartographie des terres et aux protocoles d’exploitation répondent des organisations humaines, d’éphémères dispositions pour la résistance des corps aux emprises.
Le matin commence avant la lumière.
Un accident est signalé: une enfant indéterminée est tombée, un homme indéterminé est enseveli, une femme indéterminée est inconsciente, un groupe indéterminé est porté disparu.
(…)